Journaliste,
écrivain, conférencier, luthier, musicien, né
en 1971, fils du chercheur et pédagogue Arno Stern, André Stern a
grandi en dehors de toute scolarisation.
Nommé
Directeur de l’Initiative « des hommes pour demain » par le
Professeur
Dr. Gerald Hüther, chercheur en neurobiologie avancée, André
Stern est
initiateur des mouvements « écologie de l’éducation » et «
écologie de l’enfance ». Il
est aussi directeur
de l’Institut Arno Stern (Laboratoire d’observation et de
préservation des dispositions spontanées de l’enfant).
« Nous
venons au monde avec la faculté omniprésente d’apprendre. Et si
l’enthousiasme était la clé de l’apprentissage ? » évoque
Laure Doupeux, l'une des responsables de l'association Les Semeurs
d'Ecoles, présentant le conférencier André Stern, lors de son
intervention, vendredi 17 avril 2015, au Lycée de Kérustum de
Quimper, devant 170 auditeurs.
En
marge de l'événement, André Stern répond
aux
questions
de
Persona.
Pour
se référer à votre conférence sur le thème de l'enthousiasme
-que vous qualifiez d'« engrais pour notre cerveau »-,
pourquoi serait-il plus pertinent de développer des compétences que
de combler des lacunes ?
Je
ne mets pas ces deux notions en opposition. Je n'ai jamais considéré
la lacune comme un monstre honteux, ainsi qu'on l'a placée dans
l'ordre de la société, mais comme un espace libre pour de nouvelles
connaissances. Et si je qualifie l'enthousiasme d' « engrais
pour le cerveau », ce n'est pas moi qui l'ai fait, mais la
neuro-biologie la plus poussée. Elle a découvert que notre cerveau
se développe là où nous l'utilisons avec enthousiasme.
Pendant
de nombreuses années, on a pensé que le cerveau était
génétiquement programmé. Les parents moyennement intelligents
auraient eu des enfants moyennement intelligents et les parents bêtes
des enfants bêtes... Et puis, il y a quelques années, on a constaté
que la zone du cerveau responsable des mouvements du pouce est
sur-développée chez les jeunes de nos jours. On s'est dit que si
l'usage des SMS est capable de développer une zone du cerveau, on
pouvait dire que le cerveau n'est pas génétiquement programmé mais
qu'il se développe selon l'usage qu'on en fait, un peu comme un
muscle. On a alors inventé des programmes de « musculation
cérébrale » qui n'ont pas marché. Les chercheurs et les
pédagogues qui travaillaient ensemble à l'époque -plus maintenant-
se sont trouvés devant une question poignante : « Pourquoi
ce qui marche si bien pour les SMS ne marche pas pour les
mathématiques ? » C'est alors qu'on a effectué la
découverte du millénaire : notre cerveau se développe là où
nous l'utilisons avec enthousiasme. Au bout de longs filaments, des
neuro-transmetteurs agissent comme de l'engrais. C'est visible. C'est
mesuré. Vivre ses enthousiasmes, c'est le chemin direct vers la
compétence.
Un
enfant de deux à trois ans vit une tempête d'enthousiasme toutes
les deux à trois minutes. Nous autres adultes c'est deux à trois
fois par an. Plutôt que de craindre nos lacunes, vivons donc nos
enthousiasmes ! Et quand on s'enthousiasme pour quelque chose,
on devient magnétique pour la connaissance et du coup ce n'est pas
une démarche négative mais une démarche de construction par le
magnétisme de l'enthousiasme.
Votre
expérience, dites-vous, n'est pas transposable en un modèle.
Qu'est-ce qui fait qu'elle a bien fonctionné pour vous et quels en
sont les mots clés ?
Je
dis que ce n'est pas transposable, parce que je ne cherche pas à en
faire une méthode, ou à vendre quoi que ce soit. Mais cette
attitude dans laquelle j'ai grandi (NDLR : en
dehors de toute scolarisation) qu'on appelle
« l'écologie de l'enfance » est possible à chacun. Et
les mots clefs de ce cheminement sont les dispositions spontanées de
l'enfant : l'enthousiasme, la capacité au jeu, l'ouverture
d'esprit et l'appétence au monde dans sa diversité.
Vous
affirmez « l'enfant n'a pas besoin qu'on lui fixe de limite ».
Cela veut-il dire que vous n'en fixez aucune à votre propre
fils ?
Cette
manière de se positionner face à l'enfant en lui disant de manière
très supérieure « Je te fixe une limite !», cette
manière là est obsolète. Quand il y a relation de confiance et de
sincérité mutuelle, l'enfant est en confiance et n'a aucun problème
avec le fait qu'on lui dise non, si le non n'est pas majoritaire
(NDLR : dans le discours).
Mon
fils Antonin a découvert que les voitures s'arrêtent au feu rouge.
Vous auriez vu sa tête le jour où une voiture est passée au rouge.
Cela montre bien combien cette orientation est importante. Ce n'est
pas une limite que je lui fixe hiérarchiquement, dans une relation
de pouvoir. Moi qui suis de l'autre côté du miroir, ça me choque
beaucoup qu'on mette des limites autoritairement dans un rapport de
pouvoir, alors que c'est dans un rapport de confiance où la limite
n'en est pas une, mais une orientation primordiale pour l'enfant.
Pour autant je réfute dans le vocabulaire le mot latitude. On ne
peut pas dire que je parle de laisser faire et de l'enfant livré à
lui-même.
L'Education
Nationale, selon le chroniqueur Emmanuel Davidenkoff (1), cale son
organisation sur « les besoins et les capacités -supposés- de
« l'élève moyen ». Or, poursuit-il « l'élève
moyen » n'existe pas. Que vous inspire ce mythe du « moyen » ?
J'aime
beaucoup cette phrase et j'apprécie
Emmanuel Davidenkoff que
j'ai rencontré dans le cadre d'une émission sur France Info. Alors,
la moyenne repose sur cette habitude qu'on a de mettre des gens
comparables ensemble et de les amener à se comparer. Je ne veux pas
faire une critique de l'Education Nationale. Je laisse ça à
d'autres, et ce n'est pas mon métier. Moi je montre tout ce qui
serait possible. Ce qui conduit à se contenter de la moyenne cela
m'est très étranger, parce que n'ayant jamais cherché où
suis-je moyen, voire mauvais, voire médiocre. Par exemple, tu es
mauvais en mathématiques, tu vas donc devoir travailler beaucoup
beaucoup pour atteindre la moyenne... N'ayant jamais eu à faire ça,
je ne suis jamais parti de ce que je ne sais pas mais de quoi suis-je
bon. Si je suis bon, ce n'est pas un mérite personnel mais un effet
secondaire de l'enthousiasme. Si je suis bon et que je m'entraîne
davantage dans le domaine dans lequel je suis bon, je vais devenir
encore meilleur. C'est une toute autre attitude. Quand on me demande
si j'ai des lacunes, j'en ai d'énormes, de béantes, au moins autant
que tous les autres. Mais je n'ai aucune honte à les avoir. Et dans
les domaines où j'ai de l'enthousiasme je me sais très compétent.
Et on boucle la boucle : la compétence lorsqu'elle est sincère,
lorsqu'elle est vraie, lorsqu'elle est vécue, ouvre toutes les
portes, passe toutes les barrières, nous libère des moyennes, de
toutes ces notions qui conduisent à ce que nous ne soyons plus que
des versions racornies de nous-mêmes. Ce
n'est pas de moi. C'est de
Gerald
Hüther, ce
professeur, ce neuro-biologiste allemand avec lequel je travaille
qui, avec son éclairage du cerveau et de toute la biologie, en
arrive à dire « on n'est qu'une version racornie de ce qu'on
pourrait être, de ce que les enfants sont à la naissance. »
Pour
un enfant de 44 ans, comme vous vous qualifiez, vous ne
semblez être ni un enfant loup, ni un enfant roi. Quel a été le
rôle de vos parents au début de votre vie ?
Le
rôle de mes parents dure toute ma vie, dure encore. Et comme je me
considère comme un enfant, le rôle de mes parents est primordial.
C'était des élèves heureux qui n'avaient pas du tout à régler
leurs comptes avec l'école ou qui diraient « on a souffert il
ne faut pas que nos enfants vivent ça... » Non, pas du tout.
Eux, ce n'était pas contre l'école, c'était pour quelque chose.
Ils se sont décidés pour la disposition spontanée de l'enfant. Et
donc ça décrit déjà une partie de leur attitude. C'était de
donner à ma sœur et moi un feu vert général : « Ta
disposition spontanée on lui donne un feu vert ! »
Autrement dit nous rencontrer non pas dans la position du haut vers
le bas, cette position condescendante (j'aime beaucoup ce mot à
cause de sa construction). De nous dire « tel que tu es, tu es
parfait ! » Cela ne veut pas dire « je suis sans
défaut, sans erreur ». Non, c'est juste une question
d'attitude. Ce feu vert général, c'est ce port d'attache
extraordinaire duquel chaque enfant un beau matin fait son premier
pas, beaucoup plus tôt qu'on ne le pense dans le vaste monde. Depuis
toujours, et à l'heure qu'il est encore, dans mon cœur, dans mon
esprit, ils sont là mes parents avec cette attitude face à moi qui
me donnent ce feu vert général.
Précisément
vous disiez « cette expérience, d'autres auraient pu la
faire ». Mais est-ce que c'est totalement vrai dans la mesure
où vous aviez des parents qui étaient quand même un peu éclairés ?
La
seule chose qui différencie mes parents d'autres parents, c'est
qu'ils se sont beaucoup informés sur la chose et qu'ils étaient
partis dans une attitude différente. Ils se sont informés sur la
chose non pas en lisant des livres, mais en vivant avec des enfants.
C'est la seule différence, mais ce qu'ils ont décidé de faire,
c'est de changer d'attitude, de changer de paradigme. Face à
l'enfant, chacun en est capable à tout instant. Ce qui nous manque,
c'est de l'information. D'où cette conférence de ce soir. Parce
qu'à chaque fois qu'on fait voir aux parents qu'il y a d'autres
possibilités, il y a au moins une chance d'y réfléchir. Tant
qu'ils pensent qu'il n'y en a qu'une on ne peut pas les accuser de ne
pas avoir pris de décision différente alors qu'ils ne savaient même
pas qu'il y a d'autres choses possibles.
>
Sites
:
http://andrestern.com
(1)
Chronique d'Emmanuel Davidenkoff intitulée « Le mythe du
« moyen » », dans l'Express du 15.04.2015.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire